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Interview avec le quotidien'Al Anwar'
14 Aug 2005
Q.: M. le président : votre absence du Liban a duré. Quel est le secret de cette absence et pour quand est le retour?

R. Je ne suis pas absent du Liban, actuellement nous vivons la révolution des nouvelles technologies de l’information de la communication et de l’Internet, le monde est devenu comme un grand village. Partant de là je suis en contact permanent avec le pays et ce à longueur de journée.
Quant au secret? Il n’y a pas de secret mais après une longue période passée dans la vie parlementaire et gouvernementale il était nécessaire de reprendre mes activités dans mes sociétés à l’étranger. Quand le besoin se fait sentir pour retourner au Liban, mon avion est prêt.

Q. : Y a t il des causes sécuritaires à cet éloignement?

R. La précaution et la prévention sont nécessaires mais les raisons sécuritaires ne m’empêcheront jamais de revenir quand le pays a besoin de moi.

Q. : Avez-vous l’intention de poursuivre l’activité politique après avoir délibérément quitté la députation et la position gouvernementale que vous occupiez?

R. Je distingue entre l’action politique dans sa conception stricte et l’action nationale que je considère un devoir. Si l’action politique se limite à l’information médiatisée, alors je ne me suis jamais considéré comme étant membre du club des professionnels de la politique. Je suis toujours un amateur au service du Liban en n’importe quelle position et en n’importe quel lieu.

Q. : Alors pourquoi avoir fermé vos bureaux à Beyrouth et au Nord?

R. J’ai fermé les bureaux qui étaient nécessaires à ma fonction en tant que vice-président du conseil des ministres. Par contre et en même temps j’ai ouvert de nouveaux bureaux pour accomplir des projets de développement au Akkar (au Liban Nord) et pour créer de nouvelles opportunités de travail, à titre d’exemple une usine de produits laitiers.

Q. Et la fondation Fares?

R. La fondation Fares continue et elle poursuivra ses activités sociales culturelles et humanistes. Nous sommes en train d’étudier les possibilités de son développement à la lumière de l’expérience des années passées et dans le but d’accomplir au mieux ses objectifs.

Q. : Quel est votre commentaire à propos de l’appel que vous ont adressé les Ulémas du Akkar vous invitant à retourner au Liban et au Akkar?

R. En vérité j’ai été profondément touché et je les remercie du fond du cœur et je confirme à mes frères les Ulémas et à mes parents au Akkar que je serai à leur côté dans n’importe quelle circonstance. Mais je leur demande de coopérer avec les nouveaux députés du Akkar. Ces jeunes sont enthousiastes pour servir le Akkar et le parlement est le lieu idéal pour revendiquer tout ce dont il a été privé. Il y a actuellement deux ministres du Akkar et j’ai l’ultime conviction qu’ils feront de leur mieux pour faire passer des projets de développement pour la région.

Q. : Comment évaluez-vous le démarrage du gouvernement ?
R. Le gouvernement a eu la confiance du parlement depuis peu de temps. Je ne suis pas de ceux qui lancent prématurément des jugements. Je juge les réalisations et non les slogans. Ce qui m’importe c’est la conformité de l’action avec l’intérêt supérieur du Liban. Partant de là on constate que certaines décisions prises en conseil des ministres dans ses premières réunions vont dans le bon sens, dont la formation du comité national pour proposer une nouvelle loi électorale, le traitement du problème de l’électricité et du fuel et le début des négociations d’Etat à Etat. En contrepartie certaines décisions prises durant la dernière réunion montrent le retour aux méthodes antérieures tel le paiement par la caisse municipale des arriérés dûs aux entrepreneurs et consultants concernés par le problème des déchets, mesure à laquelle je me suis opposé à plusieurs reprises compte tenu de l’énorme gaspillage enregistré par ce dossier. De même la décision prise par le conseil des ministres de renouveler le contrat de location du bâtiment qui abrite l’ESCWA et dont le montant annuel s’élève à plus de huit millions de dollars, contrat qui dure depuis des années et qui a été discuté à maintes reprises par les gouvernements précédents, mais la situation semble-t-il reste telle quelle.

Pour cela je pense que dans le cadre de la politique de réforme que le gouvernement compte engager, il aurait été souhaitable de ne pas renouveler le contrat de location et de trouver un autre bâtiment au moindre coût et d’opter pour une stratégie globale concernant les bâtiments publics en location sachant que le conseil de développement et de reconstruction avait préparé une étude portant sur la construction de bâtiments publics afin d’éviter les locations et cette étude se trouve auprès de la présidence du conseil des ministres.

A cet égard, et après l’exposé présenté par le ministre des finances durant la dernière séance nous pensons que tout retard ou toute hésitation dans la prise des décisions réformatrices auront des conséquences néfastes sur le pays.

Q. : Vous avez mentionné l’accord de Taëf et les amendements constitutionnels, quels sont d’après vous ces amendements ?

R. Les amendements requis ont été dévoilés par l’exercice du pouvoir, plus particulièrement durant ces derniers mois. Car il s’est avéré qu’il faut garder l’équilibre en appliquant le principe de la séparation des pouvoirs. A titre d’exemple, il faudrait rendre moins rigide certains cas prévoyant la dissolution du parlement et ce dans l’intérêt supérieur de l’Etat car dans les conditions actuelles il est impossible de le faire. Concernant la formation du gouvernement, la constitution actuelle prévoit que la formation du gouvernement s’effectue en concertation entre le président de la république et le premier ministre désigné mais elle ne prévoit pas la mécanique à suivre dans le cas d’un désaccord sur les noms des ministres. Il faudrait clarifier cette question sinon on pourrait se retrouver devant des conflits de longue durée pouvant mener à une crise de pouvoir.

Un autre point la constitution a donné au président de la république un délai de deux semaines pour signer les décrets alors qu’elle n’a pas fixé de délai au premier ministre et aux ministres. C’est une faille à laquelle il faudrait remédier.

Quatrièmement que se passerait-il si le conseil des ministres prenait une décision et que le président du conseil refusait de signer le décret d’application de cette décision ?Il est important de clarifier cette question.

Concernant les prérogatives du vice-président du conseil des ministres il me semble qu’il est grand temps de définir ces prérogatives, car il n’est pas permis qu’une pareille position au sein de l’Etat demeure sans prérogatives définies clairement dans la constitution sinon cette position n’a pas de raison d’être tout en affirmant que ces prérogatives ne doivent pas être en contradiction avec les dispositions du Pacte national auquel je tiens. Ces prérogatives devront toucher des aspects exécutifs, opérationnels et fonctionnels en relation avec le fonctionnement de l’Etat. D’un autre côté et dans le cadre du système confessionnel dans lequel nous vivons il est impératif de respecter les droits de la communauté à laquelle revient cette position en temps que partenaire dans la décision nationale.

Q. : Que pensez-vous de l’abolition du confessionnalisme politique à la lumière de la déclaration ministérielle et de l’engagement du président du parlement après son élection ?

R. J’approuve l’abolition du confessionnalisme dans l’absolu qu’il soit politique ou non, car on ne peut pas construire le pays auquel nous aspirons si ce système confessionnel persiste. Il est inadmissible d’ignorer la formation du comité national pour l’abolition du confessionnalisme politique prévu par l’accord de Taëf et l’article 95 de la constitution. Le travail de ce comité prendra des semaines peut-être des mois, l’important est de former ce comité et de démarrer le travail pour éviter de revenir en arrière.

Q. : La dette publique a dépassé les quarante milliards de dollars et aucune politique gouvernementale n’a réussi à y remédier ? Quelles sont votre vision et vos proposition à cet égard ?

R. L’augmentation de la dette publique est la conséquence directe de la mauvaise situation financière conjuguée à une situation économique ne connaissant pas de croissance soutenue depuis plusieurs années ceci est dû à la situation qui sévit dans le pays. Ajoutons à cela l’incapacité de s’attaquer à la corruption politique et administrative ainsi qu’à juger les responsables qui ont dilapidé les deniers de l’Etat profitant des grands projets et ce dans tous les domaines. A titre d’exemple il est inconcevable de payer à tous les anciens députés des traitements mensuels. Si certains sont dans le besoin (ceci ne les diminue en rien car ils n’ont pas profité de leur position de député), ils peuvent présenter des demandes auprès du parlement qui pourra statuer et prendre les décisions les concernant.
Il est inadmissible que des dizaines de hauts fonctionnaires de la première catégorie mis à disposition continuent à percevoir leurs salaires depuis plus de quinze ans sans effectuer aucun travail. C’est à l’Etat de leur trouver des postes s’ils sont compétents ou de les licencier définitivement de la fonction.

En plus il est impératif de restructurer la fonction publique ainsi que les cadres de l’administration car il s’avère qu’il existe un surplus de fonctionnaires dans certaines administrations alors que dans d’autres il y’a un déficit.
Des dizaines de conseils, de caisses et d’institutions autonomes sont à éliminer car d’une part elles constituent des administrations parallèles aux ministères en place et d’autre part n’ont plus de raison d’être. Tout ceci représente du gaspillage pour le trésor public.

Quant au grand dossier de l’électricité du Liban où le déficit a atteint onze milliards de dollars sans que l’on en sache les causes il nécessite une décision courageuse afin d’enlever la protection politique sur ce dossier. Quant à la facture sanitaire, l’Université libanaise, le Casino du Liban tout en n’oubliant pas le dossier des carrières, les biens maritimes et d’autres. Tous ces dossiers ont abouti à l’échec de Paris II me poussant à demander la tenue de Beyrouth I avant de réfléchir à Paris III.
En réponse à votre question sur ma vision je répondrai : La justice, la justice et la justice. L’indépendance de la justice et son immunité représentent pour moi le premier pas à réaliser, ensuite la réforme des organes de contrôle à condition d’en éloigner la politique.

Q. : Quelles sont vos remarques concernant la nouvelle loi électorale que le gouvernement a prédit de finaliser en six mois?

R. l’important n’est pas de terminer une nouvelle loi électorale en six mois, le plus important est que cette loi serve pour plusieurs sessions électorales. Ceci ne peut se réaliser que dans le cadre d’une loi prévoyant des partis politiques non confessionnels parmi lesquels devrait figurer un parti pour les indépendants.

Pour que la loi électorale prévue soit juste il faut apporter des modifications à l’accord de Taëf quant au découpage administratif, afin d’éviter les injustices qu’a engendrées l’application de la loi 2000, quant au découpage des circonscriptions électorales et quant au respect de la constitution et de l’accord de Taëf.
Enfin il faudrait insister sur l’aspect logistique de la loi électorale en introduisant l’informatisation afin de mieux établir les listes électorales, d’annoncer sans lenteur les résultats, de mieux contrôler le financement des campagnes et enfin réglementer équitablement la question de la publicité et de l’information électorale.

Q. : Pensez vous qu’il soit possible de faire participer les émigrés libanais aux élections?

R. Le vote dans les ambassades et les consulats nécessite une préparation logistique importante, sachant que la majorité des pays qui ont permis à leurs ressortissants de voter au sein des ambassades et des consulats à l’étranger, ont réservé le vote aux seules élections présidentielles. Le plus important concernant les émigrés est de ne plus les utiliser dans le bazar médiatique et de les éloigner du jeu politique. Les émigrés peuvent être la planche de salut pour le pays et leur réussite donnerait au Liban plus de force et de présence dans le concert des nations. Hélas l’etat ainsi que les hommes politiques ignorent leur rôle et leur capacité.

Q. : Pensez-vous qu’il soit possible d’octroyer la nationalité libanaise à ceux qui sont d’origine libanaise?

R. cette question a été débattue au sein de la commission gouvernementale que j’ai présidée et qui a soumis son rapport en juillet de l’année passée. Ce rapport comporte toutes les propositions et les recommandations pouvant consolider la relation entre les émigrés et leur patrie, telle la carte pour les émigrés qui leur donne à eux et à leurs descendants le droit de propriété, de travail et d’entreprendre, ainsi que l’exemption du visa d’entrée au Liban et le droit d’obtenir la nationalité après avoir séjourné durant une période bien déterminée au Liban…Mais le problème reste entier au niveau de l’application.

Q. : Plusieurs pensent que la séparation de la députation du poste de ministre représente le premier pas vers la réforme et la voie qui mène vers le respect de la séparation des pouvoirs prévue dans la constitution. Appuyez-vous cette proposition?

R. J’étais le premier à revendiquer la séparation de la députation du poste de ministre convaincu du principe fondamental de la séparation des pouvoirs. Car il n’est pas permis que la même personne soit le décideur le contrôleur et le juge en même temps.

Le député qui aspire á occuper le poste de ministre perd de ses capacités devant le questionnement du gouvernement et le ministre qui aspire à devenir député perd ses capacités à appliquer les lois et á s’opposer aux pistons et au clientélisme.

Q. : Où se situe Issam Fares par rapport aux relations syro-libanaises quant au conflit aux frontières et quelle est votre vision pour l’avenir de cette relation?

R. Sans nul doute les relations libano syriennes traversent un moment difficile qui risque de durer jusqu’à l’annonce par la commission internationale d’enquête de son rapport. Je pense qu’il est grand temps d’ouvrir une nouvelle page entre les deux pays qui projette l’avenir sur de nouvelles bases de respect et d’intérêt mutuels en apprenant des erreurs du passé. Cette relation devrait être stable et non conjoncturelle, pour cela je souhaite que le conseil supérieur libano syrien se réunisse périodiquement et que les ministres concernés dans les deux pays se retrouvent afin d’appliquer les accords établis et d’amender certains points si le besoin et l’intérêt des deux pays le nécessite.

Q. : Il est connu que vous avez des relations personnelles privilégiées avec plusieurs chefs d’etat plus particulièrement avec le président Chirac, les présidents Bush père et fils et le président Clinton ainsi qu’avec plusieurs chefs d’etat arabes et tant d’autres, comment évaluez-vous ces relations?

R. Je suis fier des relations personnelles et spéciales qui me lient à plusieurs chefs d’état, de gouvernements et hommes d’état de par le monde. Et je suis encore plus heureux de canaliser ces relations au service du Liban. Ma relation avec le président Chirac est excellente et date de plus de deux décennies quand il était maire de Paris et premier ministre. Ma relation avec la famille Bush date depuis plusieurs décennies et c’est une relation familiale et intime. Ma relation avec le président Clinton et son épouse Hilary est excellente, tous les deux ont donné des conférences à l’Université de Tufts dans le cadre du cycle de conférences Farès qui a invité entre autres en tant que conférenciers le président Giscard d’Estaing, Margaret Thatcher, Georges Mitchell, James Baker et Collin Powell…

Quant à mes relations avec les hauts responsables arabes, elles ont débuté dans les années soixante dans le Golfe, point de départ de mes activités professionnelles.

Q. : Que pensez-vous des développements sur la scène politique après votre départ?

R. J’ai toujours été insatisfait de la gestion politique du pays et je me demande comment on peut construire un Etat si on n’est pas d’accord sur les questions politiques fondamentales?

Une faction revendique l’abolition du confessionnalisme politique et une autre émet des doutes à cet égard. Une faction revendique la démocratie con-sociative et la démocratie basée sur la loi du nombre. Une faction revendique la séparation de la religion et de la politique et une autre voit l’interaction des deux. Une faction compte sur l’extérieur pour imposer ses points de vue et une autre compte sur «un autre extérieur» pour imposer ses points de vue et ses positions. Ajoutons à cela l’environnement confessionnel, le cynisme et l’égoïsme des politiques, ainsi que le double langage qui sévit dans le pays...

Qu’attendez-vous d’un pays où les citoyens sont classés en première, deuxième et troisième catégorie, où un citoyen de quatrième catégorie peut occuper le poste de ministre et un autre de troisième catégorie la position d’un vice prédisent de conseil ou du parlement, où un autre de deuxième catégorie occupe la position du président du parlement ou du gouvernement et un autre de première catégorie occupant la présidence de l’Etat. En plus ils ont inventé la règle des ministères souverains ne pouvant être occupé que par des ministres appartenant aux grandes communautés. Au nom de quelle logique cela se fait? N’est – ce pas une entorse claire à la constitution libanaise qui stipule dans son article 7 : «tous les Libanais sont égaux devant la loi». N’est – ce pas aussi une entorse à l’égard de la charte des droits de l’homme proclamée par les Nations Unies et dans laquelle figure le principe fondamental de l’égalité entre les hommes et que rien ne les distingue ni le sexe, ni la religion, ni la couleur et ni l’appartenance ethnique. Est – ce de la sorte qu’on redresse notre pays. Est – ce de la sorte qu’on consolide l’indépendance, la souveraineté et l’unité du Liban?

Il faut partir d’une donnée fondamentale : il n’y a pas de vie pour le Liban sans l’interaction créative des différentes communautés. Un Liban chrétien ne peut survivre seul, de même un Liban musulman ne peut survivre seul. Si nous faisons abstraction de cette vérité le Liban périra.

Q. : Que pensez-vous de l’avenir du Liban á la lumière des événements tragiques des derniers mois qui ont succédé á la résolution 1559 et jusqu’ à aujourd’hui?

R. Il est impératif que tous les Libanais et spécialement les dirigeants politiques et spirituels réalisent que le Liban est devant un tournant. Cette étape nous demande beaucoup plus d’efforts et de compréhension dans la prise des positions et exige de nous unir autour des constantes nationales et de mettre de côté nos intérêts personnels et nos égoïsmes car les dangers qui nous entourent et qui nous menacent risquent de nous replonger dans une situation chaotique désastreuse. Il nous est demandé de bien lire les changements qui se réalisent autour de nous dans la région et sur la scène internationale, de lire attentivement les résolutions des Nations Unies. Le temps est à la diplomatie et au courage dans l’action politique, il faut être très attentif en captant les messages des grandes puissances, de faire avec tout en sauvegardant les intérêts supérieurs du Liban et comme le dit l’adage : «ne sois pas mou tu es pressé, ne soit pas dur tu es cassé».