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Fares prononce un discours à l'Académie russe à Moscou et y devient un orateur honoraire – 21 janvier 2002
Dans le cadre de son voyage en Russie où il a été décoré du Prix du Fonds pour l'Unité Orthodoxe Internationale, le Vice-Premier Ministre Issam Fares a également donné une conférence à l'Académie russe à Moscou où il a reçu un doctorat honoraire. Il était l'invité de l'Académie Russe des Diplomates où les diplomates russes sont formés pour devenir ambassadeurs ou membres du corps diplomatique. Le Président de l'Académie, l'ambassadeur Yuri Poukine et son vice-président, Yuri Kashlev, ainsi que des membres hautement placés de l'Académie ont souhaité la bienvenue au Vice-Premier Ministre Issam Fares et à son épouse Mme Hala, ainsi qu'aux membres de la délégation aux portes de l'Académie, et ensuite au bureau du président en présence des ambassadeurs arabes. Ensuite, tout le monde s'est dirigé vers le Conference Hall où le Président de l'Académie a remis à M. Fares le foulard spécial de l'Académie et l'a félicité d'être devenu l'orateur honoraire à l'Académie. Il a souligné que M. Fares était le premier Arabe à recevoir un doctorat honoraire de l'Académie et la première personnalité politique arabe à donner deux conférences à l'Académie des Diplomates.

M. Fares a dit qu'il était très content d'accepter l'invitation de l'Académie des Diplomates de prendre la parole devant cette honorable assemblée sur la paix au Moyen-Orient.


Fares devient l'orateur honoraire à l'Académie des Diplomates Russes


Mme Hala Fares assiste à la conférence donnée par son époux, l'orateur honoraire


Fares: "Ce prix va au-delà de ma personne pour atteindre l'Eglise orthodoxe d'Antioche"
Conférence donnée par l'orateur honoraire M. Issam Fares
Je me rappelle avec fierté ma visite à Moscou et la réunion que nous avons tenue en octobre 1997 quand j'ai obtenu mon doctorat honoraire. Je me rappelle très bien l'hommage que vous m'avez rendu et je vous en remercie profondément.

Quand nous parlons de paix au Moyen-Orient, nous appelons à une solution au conflit israélo-palestinien et à tous les autres conflits y afférents. Il s'agit d'un problème central à résoudre afin d'instaurer une paix juste, globale et durable au Moyen-Orient. Une telle paix requiert le consensus de toutes les parties concernées et une solution au problème palestinien, ainsi que l'établissement de relations entre Israël et ses voisins, afin de créer un Nouvel Ordre au Moyen-Orient. Il s'agit d'un objectif à long terme très compliqué. Pourquoi est-il compliqué? Pourquoi soulève-t-il toutes ces émotions, cette violence, cette tension et cette haine? J'essaierai d'expliquer.

Je suis content d'accepter l'invitation de l'Académie des Diplomates pour m'adresser à cette audience distinguée sur “les perspectives de paix au Moyen-Orient”. Je me rappelle, avec fierté, ma visite à Moscou et ma rencontre avec vous en octobre 1997 à l'occasion de la cérémonie de remise d'un doctorat honoraire. Cet hommage m'est cher à mon cœur et je vous en remercie. Quand nous parlons de paix au Moyen-Orient, nous signifions résoudre le conflit israélo-palestinien, ainsi que les autres conflits dans la région. Le conflit israélo-palestinien est central et résoudre ce conflit devrait être une condition pour l'instauration d'une paix juste, globale et durable au Moyen-Orient.

Ce genre de paix requiert un accord entre toutes les parties dans la région concernant la solution convoitée en Palestine, concernant les relations entre Israël et ses voisins et concernant les relations du nouvel ordre du Moyen-Orient avec le reste du monde. Il s'agit d'un ordre de grande envergure et d'un objectif particulièrement compliqué.

Pourquoi est-ce compliqué? Pourquoi y-a-t-il un cumul de passion et de colère? Je vais tenter de répondre à ces questions.
UN APERCU HISTORIQUE
L'Organisation sioniste a tenu une conférence à Bâle, en Suisse, à la fin du 19ème siècle et a décidé de créer un Etat juif. Des endroits en Afrique et aux Amériques ont été considérés pour la création d'un tel Etat, mais ont été abandonnés en faveur de la Palestine. L'Organisation a senti que la Palestine attirerait l'immigration juive en raison de ses relations bibliques anciennes. Durant la première guerre mondiale, la Grande Bretagne, en guerre à l'époque contre l'Empire Ottoman, a promis à l'Organisation un "abri" aux Juifs en Palestine, à condition que cet "abri" ne compromette pas les droits des Palestiniens. La Grande Bretagne, au même moment, a promis aux Arabes l'indépendance des Ottomans à la fin de la guerre. Avec ces deux promesses, elle a obtenu le soutien des Juifs et des Arabes. Les Juifs l'ont aidé, d'une manière technologique et militaire, et les Arabes ont mené une rébellion massive contre leurs maîtres ottomans. Au lieu de l'indépendance, les Arabes ont été fractionnés en Etats sous les mandats britannique et français. La Grande Bretagne, l'autorité mandataire de la Palestine, a encouragé l'immigration juive; et les Juifs ont commencé à œuvrer pour un “état”, non un “abri", comme il a été promis dans le cadre de la Déclaration de Balfour. La Palestine est alors devenue un champ de bataille entre les Palestiniens et les Juifs. Les Palestiniens étaient soutenus par leurs frères arabes et musulmans à travers le monde alors que les Juifs en Palestine étaient soutenus par la communauté juive de par le monde et par les pays de l'Occident où les Juifs représentent des minorités effectives.

La deuxième Guerre Mondiale et la persécution nazi-fasciste des Juifs en Europe ont accéléré l'émigration juive en Palestine et ont abouti à l'intensification du conflit.

L'Organisation des Nations-Unies nouvellement créée chargée d'instaurer la paix dans le monde par les pays victorieux de la Seconde Guerre Mondiale, a envoyé une Commission d'Enquête en Palestine. Sur la recommandation de la Commission, les NU ont voté en 1947 la partition de la Palestine en trois entités.
1) Une, comprenant Jérusalem et Bethlehem, était supposée avoir un statut séparé sous la tutelle des NU.

2) Une qui sera un Etat juif. Les Juifs, qui constituaient le tiers de la population, ont obtenu plus de la moitié de la Palestine.

3) Une qui sera un Etat palestinien. Les Palestiniens, dont la terre était la Palestine, qui représentaient à l'époque les deux tiers de la population, ont obtenu moins que la moitié de la Palestine.

Dans les guerres qui ont suivi, Israël a élargi la zone qui lui était allouée, pour occuper en 1967, toute la Palestine, y compris le Sinaï en Egypte et le Plateau du Golan en Syrie. Le Conseil de Sécurité à sa réunion du 22 novembre 1967 a adopté la résolution 242, qui a appelé au retrait israélien des territoires occupés et à la reconnaissance de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de chaque Etat dans la région. Il s'agit de la résolution de "la terre contre la paix" qu’Israël n'a pas respectée.

Dans sa séance du 22 octobre 1973 et suite à la guerre israélo-arabe de 1973, le Conseil de Sécurité a adopté la résolution 338. Cette résolution a appelé les parties concernées (l’Egypte, la Syrie, Israël, la Jordanie) à commencer immédiatement “l'application de la résolution du Conseil de Sécurité 242 (1967) dans toutes ses parties”. Il est à noter que la Résolution a appelé à "l'application", non à la "négociation" qui offrirait moins que les dispositions de la résolution.

Dans le sillon de la Guerre du Golfe au début des années 90, des efforts ardus ont été déployés par le Président Bush (père), afin d'instaurer une paix globale dans la région. Une conférence a été tenue à Madrid en octobre 1991 pour obtenir une solution au conflit dans la région conformément aux résolutions 242 et 338 des NU, et à la résolution 425 qui appelle à un retrait inconditionnel des forces israéliennes du Liban. Il est à noter qu'Israël a envahi le Liban en 1982 et a occupé sa capitale Beyrouth. En temps voulu, Israël s'est retiré du Liban, à l'exception des Fermes de Chebaa. Il s'est retiré du Sinaï en contrepartie d'un traité de paix avec l'Egypte.

La Syrie et le Liban ont appelé à un retrait total israélien du Plateau du Golan et des Fermes de Chebaa libanaises. Ils insistent sur un « package » qui porte sur les droits de toutes les parties dans la région. Dresser Israël contre un pays arabe à un certain moment, selon le Liban et la Syrie, ne contribuera pas à une paix régionale. La Jordanie et l'Egypte ont signé des traités de paix avec Israël, mais ces traités n'ont pas instauré la paix dont la région a besoin.

Les négociations entre les Israéliens et les Palestiniens n'ont abouti nulle part. Elles font actuellement du sur place sur quasiment toutes les questions. Les questions sont les colonies juives sur le territoire palestinien, le destin des réfugiés palestiniens, le statut de Jérusalem et la résolution de la terre contre la paix. J'évoquerai ces questions d'une manière brève.
LES COLONIES
Alors que les négociations se déroulaient entre Israël et les Palestiniens, Israël était occupé à construire des colonies dans la Bande de Gaza, en Cisjordanie et dans le Plateau du Golan. Il y a aujourd'hui plus de 200 colonies. Israël les appelle des implantations, dans l'espoir de réduire l'impact politique de ses politiques expansionnistes.

Environ 300 000 colons juifs vivent dans ces colonies. La plupart sont des fondamentalistes et des anti-Arabes. Ces colonies sont en violation du droit international. L'article 49 de la quatrième convention de Genève (1949) stipule ce qui suit: “La puissance d'occupation ne devra pas installer ou transférer des parties de sa population civile dans les territoires qu'elle occupe”.

Israël a fait cela, sans être sanctionné. De plus, il a installé des unités militaires dans ces colonies pour les protéger de leurs voisins palestiniens. Dans toutes les négociations jusqu'à présent, Israël s'est contenté de proposer de retirer les colonies au centre de l'Etat palestinien éventuel, mais tout en gardant les colonies les plus larges et les plus importantes autour de Jérusalem. Le problème demeure sans solution.

Les réfugiés palestiniens
Les Palestiniens ont été évincés par les forces israéliennes de leurs maisons, de leurs villages et de leurs propriétés en 1947, 1948 et 1967. Ils ont fui comme réfugiés en Jordanie, au Liban, en Syrie, en Irak et ensuite des les pays du Golfe et au-delà. Selon les estimations de 1995, la population palestinienne s'élève à environ 6.5 millions, dont, selon l'UNRWA, environ 3.2 millions sont des réfugiés dans sa “zone d'opération”.

Par la Résolution 194 adoptée en 1948, l'Assemblée Générale des NU a affirmé le droit des réfugiés palestiniens à retourner à leurs maisons et à obtenir des compensations pour leurs pertes. La résolution a été réaffirmée, des dizaines de fois, mais n'a jamais été appliquée par Israël.

Israël a insisté que les réfugiés palestiniens demeurent dans les pays où ils se sont réfugiés. Il y a quelque 400 000 réfugiés palestiniens dans mon pays au Liban. Eux-mêmes et nous-mêmes insistons sur leur droit au retour conformément à la Résolution 194. La question des réfugiés, à l'instar de la question de colonies, demeure irrésolue.

Jérusalem
En vertu de la décision des NU de 1947, Jérusalem, vu que c'est une ville importante pour les Juifs, les Chrétiens et les Musulmans, a acquis une dimension internationale. Toutefois, les milices juives, anticipant l'internationalisation de Jérusalem, l'ont occupé dans sa majorité avant le 1er août 1948, date à laquelle la Grande Bretagne a terminé son évacuation de la Palestine. Les Israéliens ont occupé le reste de Jérusalem durant la guerre de 1967 et ont déclaré la ville de Jérusalem "capitale éternelle d'Israël”. Pour les Palestiniens, Jérusalem est le siège d'al-masjed al-Aqsa, le troisième lieu saint le plus sacré en Islam, qui représente un symbole religieux d'une grande importance. Jusqu'à présent, les Palestiniens se voient offrir des bouts de terre par-ci par-là afin de les empêcher de réclamer Jérusalem-Est comme capitale. Jérusalem demeure ainsi une question, voire une question difficile à résoudre.
LA TERRE CONTRE LA PAIX
En ce qui concerne le retour des territoires occupés en 1967, les discussions entre les Palestiniens et les Israéliens ont abouti à l'émergence de l'Autorité Palestinienne sous la Présidence de Yasser Arafat. L'Autorité était dotée de pouvoirs limités sur un nombre de villes et de villages dans la Bande de Gaza et en Cisjordanie. Dans le cadre des réunions intensives à Oslo, au Camp David et à la Maison Blanche, une lueur d'optimisme a pointé à l’horizon, pour s'évaporer peu après. Nous entendons dire qu'Israël a offert aux Palestiniens le maximum qu'un gouvernement israélien peut offrir.

En réalité, Israël offre un Etat palestinien futur sur environ 90% des territoires de la Bande de Gaza et de la Cisjordanie. L'éventuel Etat sera constitué de quatre cantons, celui de Gaza et trois autres en Cisjordanie. Les cantons sont criblés de colonies israéliennes. Ils sont également traversés en croisillons par des autoroutes qui relient les colonies et permettent une action rapide de la part de l'armée israélienne. Israël gardera son armée sur le Fleuve du Jourdain et contrôlera la mer et l'espace aérien de l'éventuel Etat palestinien. L'offre est clairement en violation des résolutions des NU et des Conventions de Genève.

Quand l'offre a été effectuée par le Président Clinton, Arafat a répondu “et avec cela, M. le Président, vous vous attendez à ce que je reste en vie”. Il ne fait aucun doute que le Président faisait tout son possible pour réaliser une paix historique au Moyen-Orient. Mais des obstacles majeurs lui entravaient le chemin. La position américaine a été très étroitement liée à Israël depuis sa création en 1948 pour être sincèrement compréhensive à l'égard des Arabes. Les EU se sont engagés à maintenir une supériorité militaire israélienne contre toute éventuelle association d'armées arabes opposantes. Ils ont toléré l'émergence d'Israël, leur allié le plus proche, comme étant une puissance nucléaire, alors qu'ils ont fermement privé tout Etat arabe d’acquérir le statut militaire nucléaire. Entre 1967 et 2000, les EU, gouvernement et peuple, ont fait don de plus de 150 milliards de dollars à Israël. En outre, les EU sous l'influence israélienne ont développé une image hautement négative des Arabes, particulièrement dans leur industrie cinématographique, dans leurs programmes de télévision et dans leur presse.

Ainsi, les Arabes ont commencé à mettre sur un même pied Israël et les EU et à douter du fait que les EU puissent garantir aux Palestiniens leurs droits en vertu des résolutions des NU. Les Arabes se demandent pourquoi Israël les méprise et les considère comme un ennemi historique. En retournant au passé, on remarque que les Arabes et les Juifs coexistaient. Aujourd’hui, ils voient les choses d'une manière différente. C'étaient les Romains, non les Arabes qui ont renvoyé les Juifs de Jérusalem, et c’étaient les Arabes, sous le règne de Umar Ibn al-Khattab, qui les ont fait retourner à Jérusalem après un exil qui a duré des siècles.

Les Croisades, non les Arabes, ont massacré les Juifs à Jérusalem alors que Salah al-Din (Saladin) les a fait retourner à Jérusalem. Les Espagnols, non les Arabes, ont renvoyé les Juifs d'Espagne, alors que les Arabes du Maghreb les ont accueillis chez eux. L'apprentissage de la langue juive a connu du progrès sous les empires arabes et à travers la langue arabe .

Je mentionne ces faits pour donner quelque équilibre à l'image qui a été décrite et qui est sombrement teintée par la tension des événements actuels.
CONCLUSION
En conclusion, il sera difficile de parvenir à une solution juste et exhaustive au Moyen-Orient si la formule de négociation demeure la même. Israël et les EU sont une association puissante dressée contre une Autorité Palestinienne démunie et sans Etat. La formule de négociation doit changer pour assurer un meilleur rôle à la Russie et à l'Union Européenne. La Russie comprend le monde arabe et soutient les causes arabes. Elle insiste aussi sur l'application des résolutions des NU. L'UE peut également y jouer un rôle plus important. La Russie et l'Europe apporteront l'équilibre diplomatique nécessaire afin de parvenir à une paix globale. Une paix par pièces n'est pas effective. Elle ne le sera pas. Le Liban et la Syrie insistent sur l'importance des efforts collectifs impliquant toutes les parties concernées afin de se mettre d'accord sur un « package ». Le « package » sera une paix juste, globale et durable que la région elle-même mettra en place.

Il n'y a pas de chemin facile devant nous. Il n'y a pas d'alternative au processus de paix. Entretemps, le conflit israélo-arabe a besoin d'une période d’accalmie. Les observateurs internationaux doivent être appelés afin de briser le cycle de la violence et de paver le terrain pour une nouvelle psychologie de négociations, et peut-être pour une auto-critique audacieuse. L'application des recommandations de la Commission de Mitchell est une première étape importante dans la logistique de la paix. La violence doit s'arrêter. L'expansion des colonies doit s'arrêter et les parties doivent s'assoir autour d'une même table et parvenir à un accord dans le cadre des résolutions des NU.

Dans le cadre de la résolution du conflit au Moyen-Orient, il est nécessaire de prendre les valeurs en considération. Les EU peuvent développer une politique dans notre région basée sur les valeurs qu'ils estiment une partie intégrante de leur politique étrangère. La Russie, avec l'Eglise Orthodoxe Sacrée derrière elle, peut retourner au Moyen-Orient avec un nouvel esprit dans le cadre universel de sa propre Orthodoxie. Au 19ème siècle, la Russie accordait au Moyen-Orient une importance particulière, y ouvrant des écoles, y soutenant des églises et y développant ses intérêts commerciaux. Les auteurs russes considéraient la Russie comme étant le gardien des valeurs morales et de la fraternité humaine.

La paix dans notre région est si compliquée qu'elle requiert un engagement à long terme de la part de la Russie, de l'Europe et des EU. L'enjeu dans notre région est non seulement militaire et stratégique, mais également culturel avec des implications de grande envergure à l’avenir. La violence n'apportera pas la paix convoitée. Seule la diplomatie sereine sera effective, mais elle ne le sera que si elle est fondée sur la justice, la raison et le fair play.